Un rayon de soleil se fraye un chemin entre les
Un
rayon de soleil se fraye un chemin entre les rideaux opaques. Il vient
caresser ma joue. Ca réchauffe le coeur et le corps. Savourer ce
fourmillement sous la peau, ne pas bouger, surtout. Une mouche surgie
de je ne sais où troue d'un seul coup l'atmosphère lourde en zigzagant
à travers la chambre.
Du moment qu'elle ne vient pas courir sur les
morceaux d'épiderme qui dépassent du drap, elle ne me dérange pas. Sa
compagnie me plaît, même. C'est déjà ça... Ecouter son bourdonnement me
change au moins un peu de la contemplation du plafond. Je connais par
coeur chaque motif de la tapisserie, tellement que quand je ferme les
yeux, j'arrive à redessiner mentalement le moindre pétale. De vieilles
fleurs, indécentes et ridicules, comme ma présence ici.
Je m'ennuie tellement...
Immobile
dans la pénombre, à attendre, résigné, la visite quotidienne de
l'infirmière, j'ai tout le loisir de penser à ma condition. Disons que
j'essaye de ne pas trop m'apitoyer sur mon sort quand même, sinon je
crois que je me laisserais totalement couler.
Ce
que je fais? J'attends. Je passe mon temps à attendre. Je ne suis plus
qu'un pantin, désarticulé et encombrant, qui survit grâce aux efforts
des autres. Des personnes qui ne sont là pour s'occuper de moi que
parce que c'est leur rôle. Beaucoup de pitié et de dévouement, dans
leurs actes, mais pas d'amour. L'amour, je ne sais plus ce que c'est.
Il est parti en même temps que ma femme et mes gosses. Il a disparu
dans les flammes avec les êtres qui comptaient. Je ne sais pas pourquoi
je m'en suis sorti. Depuis trois mois que c'est arrivé, il n'est pas
une seule minute sans que je me sois demandé pourquoi moi et pas eux.
Les images de l'accident sont imprimées dans mon cerveau avec une
netteté et une précision effrayantes. C'était pas ma faute, non, c'est
pas moi qui les ai tués...
Quand le chagrin est trop insupportable, j'en viens à espérer les rejoindre. Ma vie n'a plus aucun sens sans eux; elle est inutile, vide. Mon corps ne sera plus jamais capable de se soulever, de bouger seul; ce n est plus qu une caracasse molle, stupidement inerte. Seule ma tête a gardé intacte sa faculté de raisonner. On dirait une punition... Je compare ça à une chute dans un trou sans fond : jusqu'à la fin de ma vie, je vais ruminer mes pensées sombres, revivre ce drame et pleurer ma famille sans jamais réussir à remuer ne serait-ce que le petit orteil. Indéfiniment, je crèverai de ne pas être capable du moindre mouvement pour parvenir à me délivrer de cette non-existence.