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Les (é)cri(t)s de Bibi
11 février 2007

Inspiration

Les volutes de fumée bleuâtre serpentent et s'écrasent sur le plafond jauni du pub.
Assise au bar, je tente désespérément de maintenir un équilibre précaire sur ce haut tabouret qui me donne une vue d'ensemble sur la faune locale. Le serveur s'approche, attiré par le geste nonchalant et un peu vague que ma main, soudain inspirée, a esquissé dans sa direction.

"La même chose, s'il vous plaît." Je souris intérieurement. C'est probablement la phrase la plus entendue dans un endroit comme celui-ci, sombre troquet qui recueille, la nuit venue, les âmes perdues et les papillons de nuit. Qu'à cela ne tienne! Je n'ai pas spécialement envie de me distinguer de la masse; je pourrais même dire que ça m'arrange de passer inaperçue. Après tout, si je suis ici, c'est bien pour être seule et essayer de trouver l'inspiration, non?

Tiens, à propos, il y a ce type qui me regarde depuis quelques minutes. Lui, n'a pas dû capter mon attitude de retrait, visant à ce qu'on me laisse tranquille. Il insiste, le bougre! Il me fixe, et dans l'ébauche de son sourire, je perçois nettement que je lui plais. Il ne me manquait plus que ça, tiens! Pourquoi est-ce justement dans ces moments-là que le destin décide, dans un caprice stupide, de mettre un homme sur ma route? Je soupire et soulève mon verre pour aspirer une gorgée de bière; une sensation d'amertume et de fraîcheur mêlées me sortent de ma rêverie. Comme d'habitude, la condensation a laissé un rond humide sur le comptoir. Je m'amuse un instant avec, faisant glisser mon index dans ce cercle parfait. Encore un geste banal de pilier de bistrot. Décidément... J'accumule les poncifs, ce soir. C'est ridicule, et ce n'est pas ça qui va m'aider à faire évoluer l'intrigue de mon roman. Enfin, de mon ébauche de roman, devrais-je dire. A ce stade, on est plus proche de l'embryon à peine formé que du beau bébé tout frais dont je dois accoucher (dixit mon éditeur, qui, lui, se fiche royalement de mes états d'âme) avant la fin de l'année.

Cette pensée me fait sourire inconsciemment, ce qui a pour effet d'annihiler immédiatement le beau masque froid et distant que j'essayais d'afficher depuis mon arrivée au pub. D'ailleurs, il y en a un à qui ce changement d'humeur n'a pas échappé... "Bonsoir, je peux vous offrir un verre?" Hein? Quoi? Etais-je partie si loin dans mes pensées, que je ne l'ai vu qui s'approchait gauchement, les yeux brillants et le sourire tremblant? Bon. Avant de répondre, je m'offre le luxe, puisque la balle est dans mon camp, de le détailler tranquillement. Ma myopie m'a encore une fois trahie. Le crapaud qui me lorgnait depuis une demi-heure, à sa table située à l'autre bout du bar, se métamorphose soudain et devant mes yeux ébahis, en un séduisant jeune homme au regard sombre qui, je dois bien me l'avouer, pourrait réussir l'exploit de me détourner complètement de mon objectif initial.

Mais dans un brusque retour à la réalité, je me sens soudain comme happée en dehors de mon corps, et, spectatrice forcée et dédoublée de la scène, je nous vois nettement, couple improbable, cliché insipide engendré par l'alcool et l'ennui. Et là, l'aspect ridicule de son approche, le grotesque de la scène, et pour finir, le côté surréaliste de la soirée me sautent aux yeux. Je pars alors dans un immense et cruel éclat de rire, qui laisse mon soupirant pantois, les yeux écarquillés; un fou-rire incontrôlable qui me laisse à peine la force de reprendre mon souffle, et c'est dans cet état de quasi hystérie que je descends du tabouret, chancèle jusqu'à la porte et exécute la sortie la plus théâtrale de ma vie.

L'air frais me fait du bien. Je rentre. C'est bon. Je l'ai, mon idée.


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