Sa nue
D'un
revers de la main, il balaie tout ce qui se trouve sur la table.
Cigarettes, stylo, magazines, se retrouvent négligemment dispersés sur le
parquet ciré.
Il
n'y a pas de temps à perdre. L'inspiration est là, il a envie de la dessiner.
Tout de suite.
Il
se précipite dans le petit bureau attenant au séjour, ouvre d'un coup sec le
tiroir du vieux meuble en chêne et en extrait la trousse contenant son matériel
à dessin. Avec sa main libre, il saisit son grand carnet à esquisses, et
retourne en courant presque, s'installer sur le tabouret qui trône devant la
petite table du salon, là où la lumière est la meilleure. Il
choisit ses outils avec soin. Pour reproduire les lignes pures de son corps, il
ne voit rien de mieux que le fusain.
Le
voilà seul face à la grande page blanche. Fermant les yeux, il essaie de se
remémorer les moindres détails de la jeune femme; il y parvient sans peine,
tellement la douceur de ses courbes et la grâce de ses mouvements l'ont marqué.
Il se demande s'il arrivera à exprimer sur le croquis la soie de sa peau
laiteuse, ainsi que son exquise odeur qui l'a rendu fou, il y a à peine
une heure.
Sa
main, guidée par le souvenir brûlant de leur étreinte presque fusionnelle,
glisse sur le papier gaufré. Le geste est précis; les traits se juxtaposent, se
côtoient. Petit à petit, le corps dénudé, allongé paresseusement, de celle
contre qui il s'est abandonné tout à l'heure, prend forme sous ses yeux.
Ses seins ronds et lourds, sa chair ferme, la courbure de ses reins,
tout est gravé dans sa mémoire. Il s'en émeut, et le trait dérape
soudain en dehors de la feuille. Qu'importe, c'est sans conséquence et ne gâche
pas son minutieux travail. Encore quelques ombres, une ou deux estompes, et
Elle est là, exposant sous la lumière crue son innocente nudité. Le visage,
quoique ses détails soient atténués, est frappant de ressemblance, et ses yeux
semblent l'appeler silencieusement.
Fébrilement,
il cherche dans la trousse l'accessoire indispensable pour apporter la touche
finale à son esquisse. Délicatement, la sanguine vient caresser la petite
bouche mutine, lui donnant l'aspect (si semblable à la réalité!) d'un fruit
rouge et charnu. Jamais, depuis le jour où il a tenu un crayon pour la première
fois, il n'avait dessiné un portrait aussi ressemblant.