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Les (é)cri(t)s de Bibi
11 février 2007

Jeanne (1)

La pendule du salon affiche 16 heures et 15 minutes.
Jeanne y jette un coup d'œil rapide et réalise qu'il est plus que temps d'aller se préparer. A pas lents, elle se dirige vers sa chambre et marque une courte pause devant la photo passée de son défunt mari. Celle-ci trône, encadrée, sur le mur du couloir, formant avec le papier peint vieillot et défraîchi, un curieux ensemble que le regard habitué et usé de la vieille dame ne voit plus depuis longtemps.


Dans la petite chambre qui sent la lavande et la naphtaline, Jeanne allume d'abord une lampe posée sur un guéridon, puis avance lentement vers la coiffeuse tout en bois sculpté, dont le plateau en marbre regorge de flacons variés et de bouteilles de parfum miniatures. Là, elle s'assoit dans la bergère qui fait face au vieux meuble, ce fauteuil ancestral dont sa mère lui avait fait cadeau le jour de son mariage, il y a de cela bien longtemps.

Elle se regarde maintenant dans le miroir qui surplombe le joyeux désordre de la coiffeuse. Elle se sourit; aujourd'hui est un grand jour. Il faut dire que sa vie simple et monotone n'avait pas connu d'évènement semblable depuis si longtemps, qu'elle se demande même, non sans amertume, si sa dernière sortie au salon de thé ne remonte pas au temps où Henri était encore vivant. Autant dire, une éternité.


Perdue dans ses pensées, elle ouvre la barrette qui retient ses lourds cheveux blancs à peine teintés ici et là de quelques mèches restées grises. Sa chevelure roule en cascade sur ses épaules. C'est sa fierté, cette masse longue et souple qui enchantait tellement son homme quand elle n'était qu'une toute jeune femme. A l'époque, ses cheveux étaient bruns, d'un brun foncé et brillant qui faisait ressortir de la plus jolie manière son teint d'albâtre et ses yeux verts. Mon dieu, qu'elle avait été belle, et comme cette époque lui semble éloignée!

Elle saisit la brosse qui attend sur le meuble, et commence à lustrer ses boucles longuement. Depuis tout-à-l'heure, son sourire ne l'a pas quittée. Elle songe que la vie joue parfois de drôles de tours aux êtres humains. Qui aurait cru qu'un jour, elle retrouverait par hasard, en allant à la boulangerie, son premier amour, son grand amour de jeunesse? Surtout pas elle. Elle n'avait jamais réussi à l'oublier, bien que n'ayant jamais pu le revoir depuis qu'il avait dû partir sur le front de guerre. Elle avait définitivement perdu sa trace quelques semaines après son départ, quand l'une des lettres qu'elle lui envoyait alors quotidiennement était demeurée sans réponse. L'inquiétude avait fait place au désespoir, puis à la résignation. Quelque temps après, Henri lui avait fait une cour empressée, et leur mariage avait été célébré dans la plus grande intimité.

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