Comme tous les matins, je la lave, je l'habille,
Comme tous les matins, je la lave, je l'habille, je lui brosse les dents et la coiffe.
Comme
tous les matins elle tremble, des secousses incontrôlées s'emparent de
son corps. Elle a froid, oui. Mais pas seulement. Ce matin elle est
particulièrement réticente à se déshabiller et faire sa toilette. Son
regard est plus inexpressif encore qu'à l'accoutumée. Je la sens
hostile à mon égard. Elle baisse la tête et me tourne le dos;
j'utilise toute la douceur dont je suis capable pour obtenir sa
coopération. J'ai du mal à lui enlever son pyjama, elle résiste, dit
"Non, non!". Je dois faire preuve de fermeté, un peu, comme s'il ne
s'agissait que du caprice d'une enfant. Mais cette enfant a un peu plus
de soixante ans et elle n'a pas choisi de ne plus être elle-même. Elle
subit la loi de la maladie qui a mis un terme à sa vie "normale".
Je l'observe, elle m'émeut, petit bout de femme qui ne se regarde même plus dans le miroir quand je brosse ses cheveux. Pour quoi faire? Elle ne s'y reconnaîtrait peut-être déjà plus. Elle semble coupée d'elle-même, comme si son âme avait déserté son enveloppe charnelle. Comme une marionnette docile, elle se laisse habiller, ses yeux fixant le vide. Je me demande ce qui peut bien se passer dans sa tête. A-t'elle encore une pensée cohérente? Se rend-elle compte de sa déchéance progressive et inéluctable? Est-ce le noir complet dans son esprit, le néant? De quoi se souvient-elle exactement?
Je
me pose toutes ces questions quotidiennement, et à la fin, à chaque
fois, une seule certitude : je ne veux pas finir ma vie comme ça. Sauf
que si Alzheimer décide de s'installer en moi, je n'aurai pas
le choix.