Ses maux sans sommeil
Elle s'est couchée sans même prendre
la peine de se démaquiller. La tête lourde, elle s'est écroulée, poupée
désarticulée que l'alcool a fini d'anéantir... Elle va mourir, elle en est
sûre. Son cœur bat beaucoup trop vite, par moments un raté dans le rythme
cardiaque augmente son angoisse; battement loupé, lèvres pâles, ses tempes
douloureuses qu'un sang boueux vient cogner l'empêchent de fermer les yeux
et de basculer de l'autre côté.
Ce soir, elle souhaite plus
que tout ne plus avoir de cœur. Qu'on le lui arrache, par pitié! Qu'on la
débarrasse définitivement de ce ridicule organe, et qu'on prenne aussi son
cerveau par la même occasion. Avec une complicité sadique, ces deux-là ne lui
laissent aucun repos. Arrêter de penser, de ressentir, d'aimer. Que l'amour la
quitte. C'est tout ce qu'elle veut. Est-ce trop demander?
Le bras replié sur sa tête, elle
ricane, d'un rire de saoûlarde qui ne maîtrise déjà plus son esprit. Pourquoi
rit-elle?
Sa vie n'est pourtant qu'une quête
sans fin. Elle attend. Depuis toujours. Elle espère quelque chose qui
n'arrive pas. Un lendemain qui chante sans conditions, une vie pleine de
"plus" et de "mieux"... Et par-dessus tout, elle attend que
son tour vienne. Car il viendra, il ne peut en être autrement. Son cœur va
exploser, elle le sait. Ses larmes furieuses forment sur ses joues de noirs
petits ruisseaux de mascara. Elle s'en fout.
Péniblement, elle se relève en
titubant, se prend les pieds dans un fil électrique, et s'étale de tout son
long sur le parquet, dans un fracas assourdissant. Ses muscles n'ont
pas eu le temps de la retenir. Tiens, sa cervelle se serait-elle déjà
fait la malle?
Dans sa chute, elle s'est cogné les
dents au sol. Elle sent son sang chaud couler le long de son menton. La
douleur, d'abord inexistante, finit par la submerger. Là-haut, il y a
effectivement un temps de retard : elle s'est coupée la langue avec les dents.
Elle se retient de hurler. Prendre sur elle. Surtout ne pas perdre le
contrôle... A quatre pattes, elle glisse jusqu'à la fenêtre de la chambre, se
hisse en agrippant la poignée. Elle parvient à ouvrir; le contraste entre la
moiteur qui règne dans la pièce et le froid piquant de l'extérieur la saisit.
Elle ferme les yeux et respire à grandes goulées cet oxygène salvateur qu'elle
sent pénétrer dans ses poumons, jusqu'à la plus petite alvéole.
Son cœur a migré jusqu'à sa bouche, dans sa langue tuméfiée et amputée de son extrémité. Dehors, elle distingue vaguement l'ombre des arbres qui dansent dans le vent fou. Ce mouvement régulier l'hypnotise; elle sent que ses yeux se ferment malgré elle. Doucement, elle se laisse couler le long de la paroi, se retrouvant avachie plus qu'assise, face au grand miroir du mur opposé. Devant elle, un zombie noir et sang la regarde d'un air amorphe. Un dernier éclair de lucidité avant de perdre connaissance : "Qui va prendre ma douleur...?"